27 mars 2006
Ecologie et spiritualité
Impossible de sauver la planète sans retrouver la nature profonde de l'humain. En France, des centaines de personnalités écologistes, humanistes et religieuses jettent un pont entre action sociale et démarches mystiques.
Les écologistes veulent sauver la nature, les religions sauver l'homme. Et si c'était la même chose ? Des artistes, chercheurs, activistes sociaux, militants verts, paysans bio, chrétiens, musulmans, juifs, sikhs, amérindiens ont décidé d'agir unis dans la diversité.
Ainsi après plusieurs années de dialogues exploratoires, la confluence "éco-spi" est en marche en Europe. Les instigateurs regroupent des courants de pensée très différents : l'Université Dharma Orient-Occident (UDHAO) dirigé par lama Denys, le WWF, le centre d'agriculture bio Terre Vivante (Isère), la nouvelle fondation suisse Diagonale... De nombreux magazines comme le Monde des religions, l'Ecologist du britannique Edward Goldsmith, Terre sauvage, 3e millénaire, Nouvelles Clés, accompagnent cette évolution. Le chef cherokee canadien Aigle bleu et les Indiens colombiens Kogis, représentant les traditions primordiales suivent avec attention l'éveil balbutiant des "petits frères blancs".
Quête solitaire et solidaire
"Le défi est l'inclusion des centaines milliers d'Européens critiquant la mondialisation marchande et des centaines de milliers d'Européens en quête de réalisation personnelle. De donner à la critique sociale une profondeur spirituelle, et à la quête solitaire une dimension solidaire", affirme l'historien musulman Mohammed Taleb, une personnalité multiple qui transcende politique, philosophie et religions.
Question : Qu'est-ce qui empêche donc l'homme d'enrayer son comportement suicidaire ?
Le célèbre botaniste et philosophe Jean-Marie Pelt ne peut que répondre: "Une espèce aussi agressive envers la nature et entre ses propres individus n'a aucune chance de survie." A moins que… " Il serait très grave de penser qu'on est impuissant : aidés par les sagesses des traditions spirituelles, nous pouvons devenir éco-citoyens et consomm-acteurs, refusant les OGM, économisant l'énergie, mangeant bio, réapprenant la tendresse avec les êtres vivants."
L'homme, un exilé de la nature
Laïques et religieux convergent : l'homme "moderne" est un exilé de la nature. Cette déchirure (que certains croyaient émancipatrice) est une blessure intérieure qui empêche une "planète-attitude". L'homme hors-sol ne se conduit plus en enfant de la Terre. Pour le lama Mingyour, la séparation est très ancienne : l'ego a créé une identité extérieure illusoire qui nomme les choses au lieu de les vivre. "En mettant le cosmos en formules, lois et mécaniques, nous l'avons désenchanté, amputé du mystère. Découpé en morceaux, le monde est devenu un objet qu'on s'approprie", ajoute le diacre orthodoxe suisse Michel-Maxime Egger, président de la Fondation Diagonale.
"La crise écologique est une crise de la perception." C'est la thèse de l'Américain David Abram, inspiré par les traditions judaïques et chamaniques, auteur du livre The Spell of the Sensuous (l'appel des sens) qui est devenu une référence outre-atlantique. "Notre intelligence a abandonné le monde sensuel qui nous entoure. Forêts, montagnes, rivières ne sont plus ressenties comme des entités vivantes qui nous parlent. La nature est devenue muette. Sauf pour les peuples indigènes qui cultivent ce lien grâce à la transmission orale." Il conclut : "La culture écrite et informatique cesseront d'être toxiques lorsqu'elles s'enracineront à nouveau dans la culture orale. C'est un impératif écologique !"
Lama Denys compare l'homme à un vampire qui suce le sang de la terre et du tiers monde : "Mais chacun de nous doit réaliser qu'il est lui-même vampire avant de pouvoir changer les choses !" L'agronome Pierre Rabhi, apôtre de la décroissance, s'émerveille toujours de voir une graine donner une magnifique plante : "La nature est forcément reliée à une intelligence - pourquoi l'homme malgré sa conscience est-il incapable de créer un système intelligent ?"
Révolution agricole il y a 10'000 ans, Renaissance, chasse aux sorcières, Descartes, capitalisme, marxisme… Les étapes de notre désenchantement sont multiples, et aujourd'hui tout est "objétisé" : agriculture, architecture, culture, loisirs, amour. Même le vivant est devenu un paquet de gènes (brevetables) et la conscience un paquet de neurones.
D'où vient le désenchantement?
Le principal "accusé" reste le judéo-christianisme, avec le fameux verset 28 du chapitre 1 de la Genèse : "Soyez fécond, multipliez, remplissez la terre et assujettissez-la ; et dominez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel…" Le catholique écolo Jean Pierre Ribaut ne nie pas les manquements des églises vis-à-vis de la nature - "on les corrige aujourd'hui". Mais ce verset doit être réinterprété : la croissance est intérieure, la domination signifie assumer ses responsabilités.
Mais l'Islam, l'Inde et la Chine ont aussi anéanti des cultures minoritaires et des spiritualités profondes.
Le ré enchantement saura-t-il dissiper les méfiances ? Il y a trente ans on ridiculisait l'écologie des "petites fleurs et petits oiseaux". Aujourd'hui c'est la spiritualité qui fait ricaner: "bougies, sectes, gourous et Cie". Le WWF devra "convertir" ses membres et d'autres mouvements écolos (y compris les partis verts) à une dimension plus "sacrée" de la lutte environnementale. Les milieux spirituels devront mobiliser leurs ouailles pour sauvegarder plus activement la création. Reste aussi à inclure des milieux politiques, économiques et scientifiques.
Fondation Diagonale : changer le monde et changer soi-même
"Diagonale est une démarche partant du cœur profond de la personne qui traverse et unifie toutes les dimensions de l'être (corps, âme, esprit) et de la société." Elle est parrainée par 53 personnalités comme Boris Cyrulnik, Jean-Claude Guillebaud, Albert Jacquard, Edgar Morin, Ariane Mnouchkine, Jean Nouvel, Paul Ricoeur, le grand rabbin Marc Raphaël Guedj, le cheikh soufi Bentounès, l'archevêque Albert Rouet, la théologienne Lytta Basset…
* http://www.fondationdiagonale.org/
Les écologistes veulent sauver la nature, les religions sauver l'homme. Et si c'était la même chose ? Des artistes, chercheurs, activistes sociaux, militants verts, paysans bio, chrétiens, musulmans, juifs, sikhs, amérindiens ont décidé d'agir unis dans la diversité.
Ainsi après plusieurs années de dialogues exploratoires, la confluence "éco-spi" est en marche en Europe. Les instigateurs regroupent des courants de pensée très différents : l'Université Dharma Orient-Occident (UDHAO) dirigé par lama Denys, le WWF, le centre d'agriculture bio Terre Vivante (Isère), la nouvelle fondation suisse Diagonale... De nombreux magazines comme le Monde des religions, l'Ecologist du britannique Edward Goldsmith, Terre sauvage, 3e millénaire, Nouvelles Clés, accompagnent cette évolution. Le chef cherokee canadien Aigle bleu et les Indiens colombiens Kogis, représentant les traditions primordiales suivent avec attention l'éveil balbutiant des "petits frères blancs".
Quête solitaire et solidaire
"Le défi est l'inclusion des centaines milliers d'Européens critiquant la mondialisation marchande et des centaines de milliers d'Européens en quête de réalisation personnelle. De donner à la critique sociale une profondeur spirituelle, et à la quête solitaire une dimension solidaire", affirme l'historien musulman Mohammed Taleb, une personnalité multiple qui transcende politique, philosophie et religions.
Question : Qu'est-ce qui empêche donc l'homme d'enrayer son comportement suicidaire ?
Le célèbre botaniste et philosophe Jean-Marie Pelt ne peut que répondre: "Une espèce aussi agressive envers la nature et entre ses propres individus n'a aucune chance de survie." A moins que… " Il serait très grave de penser qu'on est impuissant : aidés par les sagesses des traditions spirituelles, nous pouvons devenir éco-citoyens et consomm-acteurs, refusant les OGM, économisant l'énergie, mangeant bio, réapprenant la tendresse avec les êtres vivants."
L'homme, un exilé de la nature
Laïques et religieux convergent : l'homme "moderne" est un exilé de la nature. Cette déchirure (que certains croyaient émancipatrice) est une blessure intérieure qui empêche une "planète-attitude". L'homme hors-sol ne se conduit plus en enfant de la Terre. Pour le lama Mingyour, la séparation est très ancienne : l'ego a créé une identité extérieure illusoire qui nomme les choses au lieu de les vivre. "En mettant le cosmos en formules, lois et mécaniques, nous l'avons désenchanté, amputé du mystère. Découpé en morceaux, le monde est devenu un objet qu'on s'approprie", ajoute le diacre orthodoxe suisse Michel-Maxime Egger, président de la Fondation Diagonale.
"La crise écologique est une crise de la perception." C'est la thèse de l'Américain David Abram, inspiré par les traditions judaïques et chamaniques, auteur du livre The Spell of the Sensuous (l'appel des sens) qui est devenu une référence outre-atlantique. "Notre intelligence a abandonné le monde sensuel qui nous entoure. Forêts, montagnes, rivières ne sont plus ressenties comme des entités vivantes qui nous parlent. La nature est devenue muette. Sauf pour les peuples indigènes qui cultivent ce lien grâce à la transmission orale." Il conclut : "La culture écrite et informatique cesseront d'être toxiques lorsqu'elles s'enracineront à nouveau dans la culture orale. C'est un impératif écologique !"
Lama Denys compare l'homme à un vampire qui suce le sang de la terre et du tiers monde : "Mais chacun de nous doit réaliser qu'il est lui-même vampire avant de pouvoir changer les choses !" L'agronome Pierre Rabhi, apôtre de la décroissance, s'émerveille toujours de voir une graine donner une magnifique plante : "La nature est forcément reliée à une intelligence - pourquoi l'homme malgré sa conscience est-il incapable de créer un système intelligent ?"
Révolution agricole il y a 10'000 ans, Renaissance, chasse aux sorcières, Descartes, capitalisme, marxisme… Les étapes de notre désenchantement sont multiples, et aujourd'hui tout est "objétisé" : agriculture, architecture, culture, loisirs, amour. Même le vivant est devenu un paquet de gènes (brevetables) et la conscience un paquet de neurones.
D'où vient le désenchantement?
Le principal "accusé" reste le judéo-christianisme, avec le fameux verset 28 du chapitre 1 de la Genèse : "Soyez fécond, multipliez, remplissez la terre et assujettissez-la ; et dominez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel…" Le catholique écolo Jean Pierre Ribaut ne nie pas les manquements des églises vis-à-vis de la nature - "on les corrige aujourd'hui". Mais ce verset doit être réinterprété : la croissance est intérieure, la domination signifie assumer ses responsabilités.
Mais l'Islam, l'Inde et la Chine ont aussi anéanti des cultures minoritaires et des spiritualités profondes.
Le ré enchantement saura-t-il dissiper les méfiances ? Il y a trente ans on ridiculisait l'écologie des "petites fleurs et petits oiseaux". Aujourd'hui c'est la spiritualité qui fait ricaner: "bougies, sectes, gourous et Cie". Le WWF devra "convertir" ses membres et d'autres mouvements écolos (y compris les partis verts) à une dimension plus "sacrée" de la lutte environnementale. Les milieux spirituels devront mobiliser leurs ouailles pour sauvegarder plus activement la création. Reste aussi à inclure des milieux politiques, économiques et scientifiques.
Fondation Diagonale : changer le monde et changer soi-même
"Diagonale est une démarche partant du cœur profond de la personne qui traverse et unifie toutes les dimensions de l'être (corps, âme, esprit) et de la société." Elle est parrainée par 53 personnalités comme Boris Cyrulnik, Jean-Claude Guillebaud, Albert Jacquard, Edgar Morin, Ariane Mnouchkine, Jean Nouvel, Paul Ricoeur, le grand rabbin Marc Raphaël Guedj, le cheikh soufi Bentounès, l'archevêque Albert Rouet, la théologienne Lytta Basset…
* http://www.fondationdiagonale.org/
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