23 avril 2006
Goenka, de Davos aux bas-fonds (Vipassana)
Par Dominique Godrèche
Vingt-cinq ans après avoir mis en pratique son enseignement avec des toxicomanes, à l’hôpital de Marmottan, Dominique Godrèche, retrouve son maître de méditation indien, Goenka, qui a diffusé la très ancienne méthode Vipassana dans le monde entier, du Sommet de Davos aux prisons d’Amérique et d’Inde.
De Goenka, j’avais gardé le souvenir d’un maître jovial et blagueur, toujours prêt à nous faire rire pour nous aider à supporter l’austérité d’une session de dix jours de méditation Vipassana. En 1972, Goenka se déplaçait de ville en ville, et ses enseignements itinérants étaient difficiles à localiser. À moins de le croiser par hasard, au détour de ses déplacements en Inde, les chances étaient minces d’arriver accidentellement au bon moment, au bon endroit. Par "hasard", un jour, j’attendis le même avion que lui... Pour la première fois, j’ai pu suivre un cours de Vipassana sous sa direction, à Dharamsala, une région magnifique de l’Himalaya. De cet enseignement, on acquiert la capacité de se concentrer plus facilement, un ressourcement d’énergie et, après un certain temps, la possibilité de ressentir des états de profonde paix intérieure. Au fur à mesure que l’on progresse, survient une amélioration de tout ce qui a trait au système nerveux (sommeil, etc.). Vipassana signifie : « sentir et observer». Tout devient si simple lorsque l’esprit, purifié, s’apaise. Vous êtes alors capable de comprendre immédiatement les problèmes, et de prendre les décisions justes. Transmis à Goenka par U Ba Khin, son instructeur birman, l’enseignement, simple et pragmatique, fondé sur un stage de dix jours, se divise en trois parties : les trois premiers jours sont consacrés à l’apprentissage d’une technique de méditation basée sur l’attention à la respiration, Anapana, qui développe les facultés de concentration et de vigilance. Ensuite commence la pratique de Vipassana à proprement parler, où l’accent est mis sur l’attention aux sensations corporelles et aux souvenirs qui leur sont liés. Enfin, la dernière initiation, Metta, repose sur les notion de compassion, d’amour et de partage. Ces dix jours de méditation, à raison de huit heures par jour, ont un effet étonnant sur le système nerveux, notamment la mémoire. On se découvre des ressources insoupçonnées. Fondée sur la réflexion bouddhiste, interrogeant l’impermanence et la souffrance, Vipassana permet d’aborder les questions fondamentales du souvenir du traumatisme et de la présence à soi-même dans la conscience corporelle. Très efficace, en peu de temps on assiste au rétablissement d’un certain équilibre chez des personnes ayant eu recours, sans succès, à des thérapies chimiques et psychologiques pour calmer leurs douleurs ou leurs angoisses. Goenka lui même, ex-homme d’affaires alors en proie à de terribles maux de tête, s’était inscrit à un cours, désespérant de pouvoir apaiser un jour ses douleurs chroniques par un autre moyen que la morphine… Goenka, qui a gardé de son passé de businessman un grand sens pratique - mais sans le désir de faire du profit ! -, a décidé d’introduire la méditation Vipassana dans les prisons. Deux programmes se sont déjà déroulés, l’un en Inde, l’autre aux États-Unis. Aujourd’hui, de passage à Londres pour la première fois en dix ans, en route pour New- York où se tient le « Sommet des religieux pour la paix », il expose l’impact de cette très ancienne méthode au XXIe siècle « Des centaines de centres pratiquent notre méditation, et les gens attendent leur admission aux sessions. Pourquoi ? Parce qu’il est possible d’atteindre de bons résultats, sans obligation de conversion à une quelconque croyance.Il s’agit d’un savoir pragmatique, accessible à tous. Récemment, nous avons reçu deux mille prêtres chrétiens, et nous avons même envoyé nos assistants en Iran, alors qu’aucun livre non islamique n’y est permis ! Mais nous y sommes acceptés : que peut-on redire au fait de désirer purifier son esprit ? » Dans "Santana, une expérience de vie auprès du maître Goenka en Inde", j’ai eu la chance de pouvoir raconter une session dirigée par Goenka, et la façon dont, plus tard, ce savoir a influencé ma pratique de psychologue clinicienne dans le service de toxicomanie du professeur Olievenstein, à l’hôpital de Marmottan. Anxieux, tendus, le mal-être des toxicomanes hospitalisés devient vite insupportable. Confrontés à leurs douleurs de sevrage, tournant mentalement de façon obsessionnelle, « en sandwich » entre un passé nostalgique et menaçant et un futur rempli de questions.Immobilisés pendant la durée de leur sevrage, de sept à dix jours, dans un lieu dont ils ne sortent pas, leurs angoisses décuplent. Dans un tel contexte, des séances de relaxation, auxquelles s’intègrent certains éléments de Vipassana, favorisent la libération de l’angoisse enfouie, sans avoir à la verbaliser, mais en la rendant consciente, en l’extériorisant. À l’absence du produit, on propose la présence à soi-même. Certains de mes patients ont retrouvé des souvenirs d’enfance totalement oubliés. L’attention canalisée permet un relâchement de la tension nerveuse et du sentiment d’enfermement. Certains oublient même où ils se trouvent ! Les fonctions vitales se réactivent : sentir, toucher, être avec, parler, briser l’isolement. Par la présence à soi-même, un état de simplicité existentielle s’avère thérapeutique. Sentir sa propre capacité de perception est vécu comme une libération pour des gens mal aimés, ou abusés, qui refusent de se percevoir, de se sentir depuis des années.L’agitation mentale calmée, on devient son propre « refuge », selon les termes bouddhistes. Extraordinaire sentiment de bien-être pour des individus qui ne se supportent pas ! La parole vient plus tard, autrement… De punitif, l’enfermement hospitalier devient thérapeutique. Les techniques de « retour à soi-même » questionnent : quelles sont nos ressources intérieures ? Où se situe la liberté ? Qu’est-ce que la dépendance ?C’est ainsi que le programme institué dans les prisons par Goenka a permis à certains de sortir du cycle de l’aliénation carcérale. John, un ex-prisonnier présent à la conférence de Londres, témoigne : « J’avais tenté énormément d’expériences différentes pour m’en sortir, mais rien ne fonctionnait. J’ai une longue histoire de prison, j’y ai été placé quarante-cinq fois, et tout ce que je faisais m’y ramenait. Jusqu’au jour où, dans le dortoir de la prison, je suis tombé sur l’annonce d’un cours de méditation. J’ai décidé de m’y inscrire ; ça a brisé le cycle. » « Le mal que l’on fait aux autres, on le fait à soi-même, explique Goenka ; quand je dirigeais les sessions pour les prisonniers, et que j’écoutais leurs projets de vengeances violentes, je leur répondais : en attendant, avec ce genre de pensées, c’est vous-même que vous détruisez ! » L’un des aspects majeurs de l’enseignement porte sur l’habitude et la répétition : comment s’extraire de l’esclavage de l’habitude ? Goenka insiste sur ces questions. Aujourd’hui, ses interventions se sont diversifiées, et le Forum économique de Davos l’a convié, l’hiver dernier, à donner une conférence à un public d’hommes d’affaires et de financiers sur le tabou de la mort et la notion de bonheur. « Méditer est un art de vivre, dit-il, mais aussi un enseignement scientifique : nous avons remarqué que certains cas de cancer se sont améliorés grâce à la pratique. Et on a si peur de la mort ! Voilà pourquoi j’ai tenu à en parler. » Actif sur tous les plans malgré son grand âge, Goenka est un bon exemple de la façon dont Vipassana agit. Totalement impliqué dans son époque, il expose aux quatre coins du monde l’impact de la méditation dans la vie active, sociale et émotionnelle. Il s’agit donc de l’intégrer dans la vie, à chaque instant : « Méditer dans son coin, en oubliant tout, et se couper du monde serait contradictoire. Au contraire, ayez la meilleure vie possible et profitez-en pleinement ! » Gratuits, ses cours ne représentent pas une source de revenus pour les instructeurs.« Vipassana se propage sans argent, explique Goenka. Ceux qui en tirent un bénéfice aident à son développement, et nous les y encourageons. » Son centre principal, installé à Igatpuri, en Inde, a ouvert un département de recherches sur le bouddhisme.Ailleurs, de nombreuses expériences, sociales et médicales, se sont développées, en Inde, aux États-Unis, en France et en Suisse. « Ne fuyez pas vos problèmes, rappelle Goenka, la fuite n’est pas une solution. Soyez votre propre maître. On ne peut facilement observer sa peur ou sa colère, mais tout le monde peut observer sa respiration et sa sensation. » •
À lire : Santana, une expérience de vie auprès du maître Goenka en Inde, Dominique Godrèche, éditions Albin Michel, coll. « Spiritualités vivantes ».
Vingt-cinq ans après avoir mis en pratique son enseignement avec des toxicomanes, à l’hôpital de Marmottan, Dominique Godrèche, retrouve son maître de méditation indien, Goenka, qui a diffusé la très ancienne méthode Vipassana dans le monde entier, du Sommet de Davos aux prisons d’Amérique et d’Inde.
De Goenka, j’avais gardé le souvenir d’un maître jovial et blagueur, toujours prêt à nous faire rire pour nous aider à supporter l’austérité d’une session de dix jours de méditation Vipassana. En 1972, Goenka se déplaçait de ville en ville, et ses enseignements itinérants étaient difficiles à localiser. À moins de le croiser par hasard, au détour de ses déplacements en Inde, les chances étaient minces d’arriver accidentellement au bon moment, au bon endroit. Par "hasard", un jour, j’attendis le même avion que lui... Pour la première fois, j’ai pu suivre un cours de Vipassana sous sa direction, à Dharamsala, une région magnifique de l’Himalaya. De cet enseignement, on acquiert la capacité de se concentrer plus facilement, un ressourcement d’énergie et, après un certain temps, la possibilité de ressentir des états de profonde paix intérieure. Au fur à mesure que l’on progresse, survient une amélioration de tout ce qui a trait au système nerveux (sommeil, etc.). Vipassana signifie : « sentir et observer». Tout devient si simple lorsque l’esprit, purifié, s’apaise. Vous êtes alors capable de comprendre immédiatement les problèmes, et de prendre les décisions justes. Transmis à Goenka par U Ba Khin, son instructeur birman, l’enseignement, simple et pragmatique, fondé sur un stage de dix jours, se divise en trois parties : les trois premiers jours sont consacrés à l’apprentissage d’une technique de méditation basée sur l’attention à la respiration, Anapana, qui développe les facultés de concentration et de vigilance. Ensuite commence la pratique de Vipassana à proprement parler, où l’accent est mis sur l’attention aux sensations corporelles et aux souvenirs qui leur sont liés. Enfin, la dernière initiation, Metta, repose sur les notion de compassion, d’amour et de partage. Ces dix jours de méditation, à raison de huit heures par jour, ont un effet étonnant sur le système nerveux, notamment la mémoire. On se découvre des ressources insoupçonnées. Fondée sur la réflexion bouddhiste, interrogeant l’impermanence et la souffrance, Vipassana permet d’aborder les questions fondamentales du souvenir du traumatisme et de la présence à soi-même dans la conscience corporelle. Très efficace, en peu de temps on assiste au rétablissement d’un certain équilibre chez des personnes ayant eu recours, sans succès, à des thérapies chimiques et psychologiques pour calmer leurs douleurs ou leurs angoisses. Goenka lui même, ex-homme d’affaires alors en proie à de terribles maux de tête, s’était inscrit à un cours, désespérant de pouvoir apaiser un jour ses douleurs chroniques par un autre moyen que la morphine… Goenka, qui a gardé de son passé de businessman un grand sens pratique - mais sans le désir de faire du profit ! -, a décidé d’introduire la méditation Vipassana dans les prisons. Deux programmes se sont déjà déroulés, l’un en Inde, l’autre aux États-Unis. Aujourd’hui, de passage à Londres pour la première fois en dix ans, en route pour New- York où se tient le « Sommet des religieux pour la paix », il expose l’impact de cette très ancienne méthode au XXIe siècle « Des centaines de centres pratiquent notre méditation, et les gens attendent leur admission aux sessions. Pourquoi ? Parce qu’il est possible d’atteindre de bons résultats, sans obligation de conversion à une quelconque croyance.Il s’agit d’un savoir pragmatique, accessible à tous. Récemment, nous avons reçu deux mille prêtres chrétiens, et nous avons même envoyé nos assistants en Iran, alors qu’aucun livre non islamique n’y est permis ! Mais nous y sommes acceptés : que peut-on redire au fait de désirer purifier son esprit ? » Dans "Santana, une expérience de vie auprès du maître Goenka en Inde", j’ai eu la chance de pouvoir raconter une session dirigée par Goenka, et la façon dont, plus tard, ce savoir a influencé ma pratique de psychologue clinicienne dans le service de toxicomanie du professeur Olievenstein, à l’hôpital de Marmottan. Anxieux, tendus, le mal-être des toxicomanes hospitalisés devient vite insupportable. Confrontés à leurs douleurs de sevrage, tournant mentalement de façon obsessionnelle, « en sandwich » entre un passé nostalgique et menaçant et un futur rempli de questions.Immobilisés pendant la durée de leur sevrage, de sept à dix jours, dans un lieu dont ils ne sortent pas, leurs angoisses décuplent. Dans un tel contexte, des séances de relaxation, auxquelles s’intègrent certains éléments de Vipassana, favorisent la libération de l’angoisse enfouie, sans avoir à la verbaliser, mais en la rendant consciente, en l’extériorisant. À l’absence du produit, on propose la présence à soi-même. Certains de mes patients ont retrouvé des souvenirs d’enfance totalement oubliés. L’attention canalisée permet un relâchement de la tension nerveuse et du sentiment d’enfermement. Certains oublient même où ils se trouvent ! Les fonctions vitales se réactivent : sentir, toucher, être avec, parler, briser l’isolement. Par la présence à soi-même, un état de simplicité existentielle s’avère thérapeutique. Sentir sa propre capacité de perception est vécu comme une libération pour des gens mal aimés, ou abusés, qui refusent de se percevoir, de se sentir depuis des années.L’agitation mentale calmée, on devient son propre « refuge », selon les termes bouddhistes. Extraordinaire sentiment de bien-être pour des individus qui ne se supportent pas ! La parole vient plus tard, autrement… De punitif, l’enfermement hospitalier devient thérapeutique. Les techniques de « retour à soi-même » questionnent : quelles sont nos ressources intérieures ? Où se situe la liberté ? Qu’est-ce que la dépendance ?C’est ainsi que le programme institué dans les prisons par Goenka a permis à certains de sortir du cycle de l’aliénation carcérale. John, un ex-prisonnier présent à la conférence de Londres, témoigne : « J’avais tenté énormément d’expériences différentes pour m’en sortir, mais rien ne fonctionnait. J’ai une longue histoire de prison, j’y ai été placé quarante-cinq fois, et tout ce que je faisais m’y ramenait. Jusqu’au jour où, dans le dortoir de la prison, je suis tombé sur l’annonce d’un cours de méditation. J’ai décidé de m’y inscrire ; ça a brisé le cycle. » « Le mal que l’on fait aux autres, on le fait à soi-même, explique Goenka ; quand je dirigeais les sessions pour les prisonniers, et que j’écoutais leurs projets de vengeances violentes, je leur répondais : en attendant, avec ce genre de pensées, c’est vous-même que vous détruisez ! » L’un des aspects majeurs de l’enseignement porte sur l’habitude et la répétition : comment s’extraire de l’esclavage de l’habitude ? Goenka insiste sur ces questions. Aujourd’hui, ses interventions se sont diversifiées, et le Forum économique de Davos l’a convié, l’hiver dernier, à donner une conférence à un public d’hommes d’affaires et de financiers sur le tabou de la mort et la notion de bonheur. « Méditer est un art de vivre, dit-il, mais aussi un enseignement scientifique : nous avons remarqué que certains cas de cancer se sont améliorés grâce à la pratique. Et on a si peur de la mort ! Voilà pourquoi j’ai tenu à en parler. » Actif sur tous les plans malgré son grand âge, Goenka est un bon exemple de la façon dont Vipassana agit. Totalement impliqué dans son époque, il expose aux quatre coins du monde l’impact de la méditation dans la vie active, sociale et émotionnelle. Il s’agit donc de l’intégrer dans la vie, à chaque instant : « Méditer dans son coin, en oubliant tout, et se couper du monde serait contradictoire. Au contraire, ayez la meilleure vie possible et profitez-en pleinement ! » Gratuits, ses cours ne représentent pas une source de revenus pour les instructeurs.« Vipassana se propage sans argent, explique Goenka. Ceux qui en tirent un bénéfice aident à son développement, et nous les y encourageons. » Son centre principal, installé à Igatpuri, en Inde, a ouvert un département de recherches sur le bouddhisme.Ailleurs, de nombreuses expériences, sociales et médicales, se sont développées, en Inde, aux États-Unis, en France et en Suisse. « Ne fuyez pas vos problèmes, rappelle Goenka, la fuite n’est pas une solution. Soyez votre propre maître. On ne peut facilement observer sa peur ou sa colère, mais tout le monde peut observer sa respiration et sa sensation. » •
À lire : Santana, une expérience de vie auprès du maître Goenka en Inde, Dominique Godrèche, éditions Albin Michel, coll. « Spiritualités vivantes ».
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PROCÉDURE ILLÉGALE
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