10 mars 2007

 

Les huit voitures et la « turpitude morale » de José Bové

Chroniques de la vie quotidienne dans la France sarkozyenne (3) – Les huit voitures et la « turpitude morale » de José Bové
Par Fausto Giudice, 8 mars 2007


J'ai un scoop pour vous : José Bové a possédé huit automobiles depuis 1976. Il a d'abord eu une 2CV, puis une Opel, puis une Volvo, puis une 304 etc. Ces 8 voitures ont aujourd'hui disparu, et l'une d'elles fera l'objet d'études archéologiques dans quelques siècles puisqu'elle a servi à remblayer le chemin qui mène à la ferme du paysan du Larzac, porte-parole de Via Campesina et candidat à l'élection présidentielle française.

Ce scoop a été révélé le mercredi 7 mars 2007 dans l'enceinte du tribunal de grande instance de Carcassonne (Aude), où José Bové comparaissait avec quatre autres militants pour entrave à la liberté du travail, dégradation de la propriété d'autrui et autres graves délits.

Plaignant : Asgrow, c'est-à-dire l'entreprise multinationale d'origine US Monsanto, grand empoisonneur d e l'humanité, depuis l'Agent Orange répandu sur le Vietnam jusqu'aux OGM (Organismes génétiquemen manipulés) plantés aux quatre coins de la [planète et de France en passant par divers pesticides, qui sont meurtriers et pas seulement pour les parasites (ces mêmes pesticides ont été avalés par une grande partie des 100 000 paysans indiens qui se sont sucidés de 1997 à 2003, poussés à la ruine après avoir planté et récolté du coton transgénique...Monsanto).

Le 13 avril 2006, les prévenus, accompagnés de 150 militants de la Confédération paysanne, de Greenpeace et des Faucheurs volontaires, avaient mené une occupation symbolique – sans bris de clôture - de l'usine, située dans le village de Trèbes, à quelques kilomètres de Carcassonne, pour empêcher la distribution imminente de nouveaux produits OGM en vue des semis de printemps. L'occupation n'avait pas duré très longtemps, et d'importantes forces de gendarmerie avaient délogé manu militari les - occupants, qui pratiquèrent des formes de résistance non-violente. Plaqué au sol, menotté dans le dos par une gendarmette blonde tandis qu'un collègue braquait un pistolet sur sa tempe, Bové fut emmené toues sirènes hurlantes, à une vitesse d'enfer vers la gendarmerie de Lunel, près de Montpellier, dans le département voisin de l'Hérault. Pourquoi changer de département ? Les gendarmes craignaient-ils que les placides Audois, se souvenant des hauts faits d'armes de leurs ancêtres vignerons de la révolte de 1907, viennent incendier la gendarmerie de Trèbes ou de Carcassonne pour libérer le Marcelin Albert du XXIème siècle [1] ? Mystère. En tout cas, les choses sont ensuite suivi leur cours.

Résultat : les militants se retrouvent devant la justice le 7 mars 2007. Mais pas pour longtemps. Et les témoins qui sont venus leur apporter leur soutien en sont pour leurs frais : ainsi la lumineuse Aminata Traoré, ancienne ministre malienne de la Culture et du Tourisme et militante de la cause africaine, repartira dare-dare reprendre les avions qui la ramèneront à Bamako, après avoir témoigné au meeting qui a suivi le procès avorté. Le principal avocat de la défense, Fançois Roux, un vrai Huguenot, défenseur aussi bien des paysans du Larzac que de Zakaria Moussaoui, en passant par les Polynésiens et les Kanaks, a fait littéralement sauter le procès en soulevant un vice de forme. Le tribunal a donc décidé d'examiner ce vice de procédure et de rendre son verdict sur ce point le 21 mars. On saura ce jour-là si le procès est définitivement abandonné ou s'il va enfin avoir lieu. Dans le premier cas, les prévenus se retourneront contre ceux qui les ont poursuivis pour les attaquer en justice ainsi que la gendarmerie, dans le second cas, ils feront appel de la décision. C'est que le vice de prcédure invoqué par la défense des anti-OGM n'est pas banal et je m'en vais vous le conter.

Il est assez rare et peut-être même unique unique et méritera de figurer à tout jamais dans les annales judiciaires pour témoigner de l'état de la France au début du XXIème siècle.

Ce 13 avril 2006, une fuite dans L'Indépendant, le quotidien de Perpignan, avait annoncé la venue de José Bové pour la manifestation contre Monsanto. Le militant s'était donc rendu directement à l'usine, évitant d'aller au rendez-vous fixé sur un parking. Mais voilà que dans le dossier d'inculpation, François Roux trouve un procès-verbal, signé d'un gendarme de Trèbes, qui fait état de faits pour le mois curieux : il est noté la présence sur le parking du rendez-vous « clandestin » de 30 à 40 véhicules, dont…huit appartenant à José Bové. Roux montre le PV à l'intéressé. Celui-ce examine le document, fronce les sourcils et s'exclame : « Mais c'est la liste des bagnoles que j'ai eues depuis 1976 ! Elles n'existent plus ! Et en plus, je n'étais même pas sur le parking ! »

Le pot aux roses est rapidement découvert : le cybergendarme, dans son zèle, n'a rien trouvé de plus intelligent à faire que d'aller récupérer dans son ordinateur la liste de toutes les voitures possédées depuis 30 ans par Bové et à fait un copier-coller dans son PV, en plaçant les numéros d'immatriculation et les modèles des véhicules dans l'ordre chronologique, sans doute celui du fichier informatisé des cartes grises. C'est ce qu'on appelle un faux en écriture publique. Pire : le gendarme et ses collègues ont convoqué plusieurs personnes en leur disant : « Le 13 avril 2006, vous avez participé à cette manifestation où vous vous êtes rendues à bord de votre voiture immatriculée tant et tant. » Ainsi Madeleine, une vieille « citoyenne du monde », militante réputée de toutes les causes. Dans un premier temps, Madeleine a répondu aux gendarmes : « Si vous le dites, c'est que ça doit être vrai. » Puis elle a réfléchi : « Attendez, vous dites le 13 avril. Mais ce jour-là, j'étais à une manifestation antinucléaire à Cherbourg et donc, à l'heure de la manif à Trèbes, moi, j'étais dans le train vers Cherbourg ! » Madeleine retourne chez elle, fouille ses affaires, retrouve son billet de train et va le brandir triomphalement sous le nez des pandores de Trèbes. Lesquels jugent plus prudents d'abandonner les poursuites contre elle. Idem pour d'autres militants.

On découvre alors une deuxième tentative, tout aussi grave, de faux en écriture publique : les gendarmes de Trèbes ont tout simplement utilisé une liste de numéros d'immatriculation de voitures de militants ayant participé à une manifestation précédente, en décembre 2005, qu'ils ont tenté d'accuser de participation à la manifestation de Trèbes. Devant les réactions des intéressés, ils ont préféré faire disparaître ce faux-là du dossier qui a servi à inculper en fin de compte Bové et quatres autres militants de la Confédération et de Greenpeace.

Le gendarme de Trèbes s'est rendu coupable d'un faux en écriture publique, passible, au terme de l'article 441-4 du Code pénal, de trois ans d'emprisonnement de 45 000 Euro d'amende.

Commentant cette histoire proprement incroyable devant une assistance fournie réunie dans la salle du Dôme à Carcassonne, mercredi soir, José Bové, a dénoncé cette criminalisation de la résistance à ce qu'il est convenu d'appeler le désordre mondial, et ces intimidations dont, dit-il, un homme est responsable : Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur. Et cette criminalisation ne se limite pas à la France. En 2003, raconte Bové, il figurait sur la « liste noire » (nom officiel), dressée par la police mexicaine en collaboration avec toutes les polices de la planète, des indésirables interdits de séjour à Cancún, pour les manifestations contre l'OMC.

« Quand je suis arrivé à l'aéroport de Hong Kong, en décembre 2005, les ordinateurs de la police sino-mondiale se sont mis à clignoter furieusement et ils ont menacé de me remettre dans l'avion. J'ai pu enfin rentrer dans le territoire grâce à une interview téléphonique avec France-Inter. En février 2006, à New York, le FBI a voulu m'empêcher d'entrer sur le territoire américain. Raison invoquée : j'étais coupable de « turpitude morale ». C'était ce qui était marqué sur les formulaires. J'ai demandé au flic du FBI : »C'est quoi, la turpitude morale ? Pédophilie ou quelque chose de dégueulasse dans ce genre ? » Le flic m'a répondu : "Non, ça veut dire que vous êtes un danger pour nos entreprises présentes en France, vous combattez MacDonald et Monsanto." La même chose m'est arrivée plus tard au Canada. »

Bové évoque aussi cette autre affaire incroyable : des faucheurs volontaires ont été convoqués par la police à Nîmes pour qu'on puisse faire des prélèvements sur eux afin de les entrer dans le fichier ADN. Ou comment un système inventé pour pister des dangereux criminels est utilisé contre des citoyens exerçant leurs droits garantis par la Constitution. « Malgré les poursuites, les intimidations, nous 'avons pas peur de nous engager pour l'intérêt collectif , à visage découvert, dans des actions non-violentes. Qu'est-ce qu'on risque ? D'avoir la tête coupée ? La peine de mort a été abolie, On ne risque donc rien. Continuez à désobéir. Quand les canaux de la démocratie ne fonctionnent plus, c'est comme ça qu'on reconstruit la démocratie. »

Les jeunes gendarmes de Trèbes se sont faits ces derniers temps une réputation d'enfer auprès de la population locale. Leurs prédécesseurs, partis à la retraite, étaient considérés comme « laxistes » : lorsqu'ils avaient à intervenir parce que des jeunes faisaient un peu trop de bruit le soir avec leurs cyclomoteurs, ils arrondissaient les angles et ne verbalisaient pas. Leurs enfants faisaient partie de ces jeunes. Les gendarmes et gendarmettes de la génération Sarkozy, c'est tout autre chose : ils ne jurent que par leurs ordinateurs et leurs menottes et sont incapables d'établir un rapport réaliste et équilibré avec la population « justiciable ».

Un jeune homme doté d'une magnifique chevelure rasta lui descendant jusqu'à mi-cuisses et digne de figurer dans le Guiness des records me raconte ainsi, tandis que nous fumons à l'extérieur de la salle du meeting, que, habitant à Trèbes, un jour qu'il se promenait dans les vignes, il est interpellé par un de ces mêmes gendarmes, qui lui demandent « Qu'est-ce qu vous portez sur la tête ? » Réponse : « Mes cheveux ».

Quand au gendarme du faux en écriture contre José Bové et au procureur qui a avalisé son faux, ils doivent ce soir s'arracher les cheveux et avoir du mal à trouver le sommeil : j'imagine le savon qu'ils ont du se faire passer par petit Nicolas, candidat à la magistrature suprême de la République française, cinquième du nom.

Note 1 - Marcelin Albert, paysan d'Argelières, fut le leader de la révolte des vignerons de 1907, dont on célèbre cette année le centenaire.

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