11 juin 2007
Fin de la concession attribuée à RCTV
Encore une grande manipulation des mass médias (organes des multinationales)
Concert de désinformation à la française
Henri Maler et Mathias Reymond
Publié le vendredi 1er juin 2007
Le non-renouvellement depuis le 27 mai de la concession hertzienne attribuée à la chaîne de télévision vénézélienne Radio Caracas Télévision (RCTV) nous a valu un déferlement d’informations unilatérales et tendancieuses, biaisées et lacunaires au service d’une condamnation sans appel. Titres falsificateurs et commentaires acerbes contre Chávez à l’appui, les médias français, soutenus par les maîtres-penseurs du microcosme médiatique et par l’association anti-chaviste Reporters sans Frontières (RSF), ont repris en chœur le même refrain, résumé à merveille par le titre de l’éditorial du Monde : « Censure à la Chávez » (28 mai 2007).
Sous couvert de répondre à des questions sérieuses et légitimes, un concert de désinformation... et de propagande à sens unique en guise de controverse.
Une décision illégale ?
RCTV, propriété de 1 Broadcasting Caracas (1BC), entreprise fondée en 1930 par William H. Phelps, homme d’affaire états-unien vivant à Caracas, a été créée en 1953. En 1987, sous la présidence de Jaime Lusinchi (du parti Accion Democratica), est adopté un décret qui stipule dans son article 1 : « Les concessions pour la transmission et l’exploitation de chaînes de télévisions et fréquences de radio seront délivrées pour une période de 20 ans » et reconduit pour une durée de 20 ans les concessions délivrées avant la date du décret. La concession attribuée à la chaîne RCTV par l’Etat devait donc être renouvelée ou prendre fin le 27 mai 2007.
C’est donc légalement que le gouvernement vénézuélien a décidé de ne pas renouveler la concession. A strictement parler, il ne s’agit ni de la suppression d’une licence, contrairement à ce qu’affirment Les Echos dès le 10 janvier 2007, quand ils évoquent « la suppression de la licence de la chaîne de radiotélévision d’opposition RCTV [1] », ni de la fermeture d’une chaîne de télévision qui peut continuer à diffuser par d’autres voies que par la voie hertzienne.
En dépit d’un titre digne d’un éditorial mensonger - « Chávez bâillonne la télé d’opposition » - Lamia Oualalou dans Le Figaro du 26 mai rappelle simplement : « Sur le plan légal, le gouvernement est dans son droit. Il ne s’agit pas de la fermeture d’un canal mais du non-renouvellement d’une concession. “ C’est une décision souveraine, l’espace télévisuel est public, pas privé, et faire de RCTV le représentant de la démocratie est une blague”, insiste le sociologue Luis Lander. »
Au contraire, l’éditorialiste anonyme du Monde (daté du 27-28 mai) - sous le titre éloquent, mais littéralement faux : « Censure à la Chávez » - affirme que « Le président Hugo Chávez a ordonné la disparition de RCTV ». La passion du commentaire hostile défigure l’information, puisque RCTV pourra continuer à diffuser via Internet, le câble ou le satellite. Mais selon la loi, sa fréquence hertzienne revient au service public.
Confondant allègrement liberté de l’information et de la culture et liberté des entreprises médiatiques privées, Le Monde considère sans doute qu’une concession de l’espace public hertzien, voire même la privatisation d’une entreprise, devient définitive lorsqu’elle est accordée. Avec de tels gardiens des lois, TF1-Bouygues est bien protégé !
En janvier 2007, interrogé par le Télégramme de Brest sur la nécessité de « remettre en cause l’attribution de TF1 au groupe Bouygues », un apprenti dictateur répondait qu’il faillait avant tout « faire respecter la loi » avant d’ajouter : « La loi votée il y a vingt ans (...) stipulait qu’il fallait vérifier que les engagements pris par les chaînes, notamment en matière de programmes culturels, étaient tenus. Ces rendez-vous fixés par la loi n’ont jamais été honorés. Et l’on a prolongé, sans que personne ne s’en aperçoive, les concessions sans la moindre discussion. Ce n’est pas juste. » Cette déclaration de François Bayrou - puisque c’est de ce redoutable « chaviste » qu’il s’agit - n’avait pas particulièrement ému la rédaction du Monde...
Une décision arbitraire ?
Une décision peut être légale dans son principe et arbitraire par ses motifs et ses modalités. Avant d’en juger, pour en juger, encore faut-il disposer d’une information la plus exacte et la plus complète possible. Tel n’est pas le cas.
Soucieux de pouvoir affirmer sans crainte d’être contredit que la décision d’Hugo Chávez est totalement arbitraire, Paulo A. Paranagua, dans Le Monde du 25 mai 2007 (sous le titre « Hugo Chávez fragilisé par les protestations contre la fermeture d’une chaîne d’opposition »), économise les informations : « Devant le tollé suscité aussi bien au Venezuela qu’à l’étranger, il [le gouvernement] a finalement préparé une riposte et publié un "Livre blanc sur RCTV", qui mélange arguments juridiques et politiques. » Fort de cette affirmation péremptoire, Paulo A. Paranagua ne retient des 184 pages du « Livre blanc sur RCTV » (qui, publié en mars 2007 par le Ministère du Pouvoir Populaire pour la Communication et l’Information du Venezuela, propose sa version de l’état des concentrations au Venezuela, de la régulation des concessions, des transgressions des lois et règlements en vigueur), que l’incohérence qu’il lui prête : « RCTV a "stimulé la guerre civile et le coup d’Etat", affirme le livre, en référence au putsch raté contre M. Chávez en 2002, mais "il ne s’agit pas de vindicte politique". » Si vous voulez en savoir plus et, au moins la version exacte du gouvernement, il ne vous reste plus qu’à lire le Livre Blanc lui-même.
Parmi les motifs du non renouvellement de la concession, figure en première place la participation de RCTV au coup d’Etat d’avril 2002, traditionnellement affublé d’adjectifs - « éphémère », « manqué », « avorté » - qui en réduisent rétrospectivement le sens, comme si son échec n’était pas dû au soutien populaire dont a bénéficié Hugo Chávez et comme si sa brièveté valait absolution politique. Sur France 24, par exemple, le samedi 23 est diffusé un reportage qui se veut « équilibré » [2]et qui résume ainsi : « Le président Hugo Chávez l’accuse [RCTV] d’avoir soutenu un mini coup d’Etat contre lui en en 2002. »
Cette accusation est-elle fondée ? La plupart des journalistes, au terme d’une investigation de 5 ans, ne sont pas encore parvenus à se prononcer sur une accusation qu’ils attribuent au seul Hugo Chávez et qu’ils n’ont pas encore « recoupée » ! Deux exceptions méritent d’être mentionnées :
- Dans Libération, François Meurisse [3] rapporte partiellement les faits : « Personne dans le pays n’a oublié l’attitude de la chaîne durant l’éphémère coup d’Etat contre Hugo Chávez qui a eu lieu entre le 11 et le 13 avril 2002. Le 11, la chaîne avait diffusé des appels à marcher sur le palais présidentiel, une manifestation qui permettra de déclencher le putsch. Le 13, au contraire, alors que de grands rassemblements réclament le retour du président Chavez retenu prisonnier, la chaîne tait l’information et diffuse le Livre de la jungle, prétextant des risques trop élevés pour ses équipes dans les rues de Caracas. Aujourd’hui encore, la directrice de l’information Soraya Castellano soutient que l’attitude de la chaîne a toujours été correcte. Et qu’il n’y a alors pas eu, en avril 2002, de “coup d’Etat” mais “un vide du pouvoir”, thèse qui n’est plus défendue que par les plus “durs” de l’opposition. »
- L’article paru dans Le Figaro du 26 mai, déjà cité, après avoir souligné la légalité de la décision prise, rappelle lui aussi quelques faits élémentaires : « Pendant des années, la chaîne a ouvertement conspiré contre le président en place en relayant les appels à renverser le régime. Lors du coup d’État du 11 avril 2002, le canal annonçait qu’Hugo Chávez avait démissionné et accepté que le dirigeant du patronat local, Pedro Carmona, assure l’intérim à la tête de l’État. En réalité, le président était maintenu au secret dans une île au large du Venezuela par des militaires putschistes. »
Encore ne s’agit-il là que du rôle joué par RCTV (et d’autres médias privé) lors du coup d’Etat. Les actes de désinformation intentionnelle et de déstabilisation, à commencer par le soutien à la grève patronale de 2002, se sont poursuivis depuis et sur RCTV jusqu’à aujourd’hui [4].
Rappelons enfin que le lourd passif de RCTV ne date pas de l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chávez : la quasi-totalité des médias omettent de mentionner les multiples transgressions de la légalité de RCTV qui lui avaient valu d’être fermée à plusieurs reprises par des prédécesseurs sociaux-démocrates ou démocrates-chrétiens de l’actuel Président [5].
Ne pouvant simplement nier ces faits (quand ils ne les dissimulent pas...), des commentateurs se réfugient derrière une fine ligne de défense : le rôle de RCTV pendant le coup d’Etat aurait dû faire l’objet d’une procédure judiciaire. Dans Libération, François Meurisse souscrit ainsi aux propos qu’il rapporte : « Le directeur de l’association civile Espace public, Carlos Correa, rappelle, lui, que la défense de la liberté d’expression n’a pas pour objectif “de juger de la bonne ou mauvaise pratique du journalisme. Il y a d’autres mécanismes pour ça. Dans le cas de la conduite de RCTV durant le coup d’Etat, c’est éventuellement un processus judiciaire qui aurait dû se mettre en place contre elle, ce qui n’a jamais été fait”. »
Ainsi, la mansuétude du gouvernement d’Hugo Chávez à l’égard des participants au coup d’Etat est mise à son débit [6].
Une décision impopulaire ?
Les principaux médias français sont unanimes : la décision de Chávez est impopulaire au Venezuela. « A en croire des sondages, 80 % des Vénézuéliens désapprouvent la disparition de RCTV, au nom de la liberté de choix des programmes », écrit Paulo A. Paranagua, dès le 22 avril 2007, avant de répéter, le 26 mai : « A en croire les sondages, 80% des Vénézuéliens (...) seraient défavorables à la fermeture de RCTV. » Des sondages, dont l’envoyé spécial du Monde se garde bien de rappeler de quels instituts partisans ils sont l’œuvre : ces mêmes instituts qui prédisaient une victoire limitée de Chávez lors des dernières élections alors qu’il les a remportées à 63% [7]. De son côté, François Meurisse dans Libération fait état de sondages qui « affirment que 70 % de la population regrette la décision de Chávez », avant d’ ajouter, plus prudemment : « Le chiffre est peut-être exagéré mais la mesure est très loin d’être populaire. »
Admettons qu’une telle impopularité soit vérifiée. Une information rigoureuse s’interdirait de confondre la question du choix des programmes de divertissement et celle du pluralisme des informations. Accepterait-on, en France, qu’une chaîne de télévision comme TF1 puisse se prévaloir de la popularité de « Qui veut gagner des millions ? » pour transgresser impunément la législation en vigueur ? Le Monde s’émeut parce que la « censure » « prive un public populaire de ses programmes favoris ». Qu’on s’en réjouisse ou le déplore, c’est vraisemblable. Faut-il en conclure que des programmes populaires ne peuvent pas être remplacés par d’autres ? Et que le quotidien vespéral aurait protesté si le public français avait été privé des émissions de téléréalité, en s’insurgeant, comme il le fait à propos du Venezuela contre un « coup rude porté à la liberté d’expression » ?
Une décision liberticide ?
Le titre d’une dépêche AFP (28 mai 2007) donne le ton : « Venezuela : la dernière chaîne d’opposition à Chávez a cessé d’émettre ». Sur le site de France 2, on pouvait lire, publié le 28 mai à 11h14, un article titré « Venezuela : il n’y a plus de télé d’opposition. ». Sur la même chaîne, Philippe Rochot entame ainsi son commentaire dans le JT de 13 heures du 29 mai (France 2) : « C’était l’un des derniers bastions de la liberté de la presse au Venezuela et toute la nuit ces manifestants ont tenté de le défendre. » La dernière chaîne d’opposition, vraiment ? L’un des derniers bastions de la liberté de la presse ?
Erreur de traduction ou désinformation intentionnelle ? La dépêche de l’AFP, déjà citée, annonce : « la naissance de la nouvelle chaîne de "télévision socialiste" (TVES) ». On chercherait en vain l’adjectif « socialiste » dans la dénomination de la chaîne : « Televisora Venezolana Social ». Ignorance significative ou omission délibérée ? Le rédacteur de l’AFP oublie de signaler que le nom de la nouvelle chaîne TVES est un acronyme qui fonctionne comme un jeu de mot. En espagnol, T Ves veut dire « tu te vois » ce qui indique la volonté de ses promoteurs d’en faire « la première chaîne de service public » nationale. Cette déformation de la réalité est reprise par Libération (28 mai 2007) : « RCTV sera remplacée par une télé dite "socialiste" . »
Si la « dernière » chaîne d’opposition est remplacée par une « chaîne socialiste », c’est évidemment une dictature qui s’instaure.
Pourtant, aujourd’hui encore, les médias privés utilisent 78% des fréquences VHF et 82% des fréquences UHF disponibles au Venezuela... et toutes les chaînes privées (radios et télévisions) sont loin d’être favorables à Chávez. Avec un peu plus de rigueur, le rédacteur de l’AFP n’aurait pas écrit la « dernière » chaîne d’opposition mais, plutôt, « la plus virulente » des chaînes d’opposition. Il est vrai que RCTV est l’une des plus importantes et la plus ancienne chaîne privée du Venezuela mais ce n’est pas la seule. Les chaînes nationales de TV, Globovision, Televen, CMT et Venevision du magnat latino américain Gustavo Cisneros (dont les locaux servirent à préparer le putsch d’avril 2002), sont toutes des chaînes d’opposition.
Le Monde, une fois de plus, désinforme par omission. Dans un inimitable commentaire, l’éditorialiste anonyme assène que l’attribution à TVES de la fréquence hier encore à RCTV « réduit le pluralisme et augmente la concentration de l’audiovisuel aux mains du gouvernement ». Une concentration qui existait déjà « aux mains du gouvernement » et qui « augmente » ? Un « pluralisme » qui se réduit ? Le Monde, manifestement, est mal informé et entend le rester.
C’est encore dans le Figaro que l’on peut lire quelques fragments de vérité, en dépit du flou partisan du commentaire final : « Pendant des années, le secteur privé, contrôlé par l’opposition, a dominé le paysage de la presse écrite et télévisuelle , avec cinq chaînes - Venevisión, RCTV, Globovisión, Televen and CMT - et neuf des dix principaux quotidiens. À chaque offensive pour déloger Hugo Chávez, les médias ont perdu de la crédibilité, alors que le chef de la révolution bolivarienne en profitait pour concentrer les pouvoirs. »
Mais ne demandons pas au Figaro plus qu’il ne peut donner. Quelques précisions font ici défaut, et notamment celle-ci : jusqu’à présent, c’est grâce au gouvernement d’Hugo Chávez que le pluralisme n’a pas été totalement confisqué par l’opposition, que la diversité sociale du pays a été enfin respectée et que la diversité culturelle a été étendue : par la création de la chaîne Vive TV et le développement des médias communautaires. Rares, très rares, sont les informations les concernant dans les principaux médias français [8].
Les médias français s’inquiètent d’un éventuel étranglement du pluralisme politique, Mais de quel pluralisme parle-t-on ?
- S’agit-il du pluralisme externe qui résulte de la diversité des opinions politiques entre les divers médias ? Il faut alors souligner que si le pluralisme audiovisuel au Venezuela revêt, jusqu’à présent, la forme d’une confrontation entre chaînes d’opposition et chaînes pro-gouvernementales, c’est d’abord en raison de l’hégémonie initiale... des chaînes d’opposition : une hégémonie qui n’a guère inquiété les médias dominants en France. Or, soudainement, Le Monde s’insurge contre un « coup rude porté à la liberté d’expression au Venezuela » et s’indigne : « A la suite de la disparition de RCTV des ondes hertziennes, lundi 28 mai, il ne restera plus qu’une chaîne d’opposition, dont le signal ne dépasse pas Caracas et dont l’audience est négligeable. » C’est une falsification grossière... digne des Rantanplans sans Frontières (voir plus bas).
- S’il s’agit, non plus du pluralisme externe, mais du pluralisme interne à chaque chaîne de télévision, force est de constater qu’il est plutôt maltraité. Mais, jusqu’à une date récente, la responsabilité en incombait d’abord à l’hégémonie exercée par des médias privés intervenant comme des acteurs politiques à part entière pour tenter de déstabiliser le régime d’Hugo Chàvez.
Dans un article qui ne comporte que des informations « à charge » et le plus souvent biaisées, Paulo A. Paranagua, sous le titre « Hugo Chávez fait taire la principale chaîne de télévision vénézuélienne », rédige pour Le Monde (daté du 29 mai 2007) un éditorial complémentaire dans lequel chaque expression est un commentaire hostile [9]. Exemple d’information partisane, unilatérale et tronquée : « Les ondes hertziennes offrent désormais "un paysage audiovisuel monocolore", estime Marcelino Bisbal, de l’Université catholique. Une étude de l’Institut de recherches en communication (Ininco) révèle que 74 % des contenus de la chaîne publique Venezolana de Television relèvent de la propagande gouvernementale. » Sans doute l’envoyé spécial du Monde ignore-t-il ce que rappelle Le Monde Diplomatique sur son site : « Des études de contenu effectuées sur le mois de janvier 2007 montrent que, dans ses programmes, elle RCTV a invité 21 personnalités hostiles au gouvernement, et aucune qui lui soit favorable. Le même mois, une des quatre autres grandes chaînes privées, Globovisión, a invité 59 opposants à M. Chávez et 7 de ses partisans. Seule Televen a respecté la parité : deux de chaque camp. » [10]
N’importe quel observateur de la réalité vénézuélienne sait que la chaîne publique Venezolana de Television n’avait - hélas - pas le choix face à l’hégémonie médiatique des médias privés d’opposition. Elle dispose de ce choix désormais : qui pourrait s’en plaindre ?
Peut-être Alexandre Adler et ses émules... Pour le grand Alexandre, sur France Culture (29 mai 2007), tout est simple (et même amusant...) : « c’est une affaire qui ne peut que, comme d’habitude, soulever l’indignation et faire sourire car nous sommes quand même dans un pays créole. (...) Ce pouvoir autoritaire et ces mesures qui rappellent Cuba, mais un Cuba disons dans lequel les munitions auraient été remplacées par des balles en plastique. » Dans sa chronique matinale, il en profite pour bougonner contre France Culture, trop complaisante à son goût à l’égard de Chávez : « On a un peu commenté, très favorablement sur cette antenne, un peu moins favorablement ailleurs, la fermeture de la télévision, la dernière télévision indépendante au Venezuela, par Hugo Chávez. » Grognement qui fait sourire Ali Badou, l’animateur de la tranche matinale : « une précision, Alexandre : mais qui a vu sur notre antenne d’un œil favorable la fermeture de la chaîne de télévision par Hugo Chávez ? » C’est vrai, ce serait étonnant... La réponse d’Alexandre Adler ne l’est pas vraiment : « Ah bien, on a rappelé lourdement que cette chaîne avait soutenu le coup d’état pendant deux jours, que donc il ne l’avait pas volé et que finalement ce n’était qu’une justice redistributive ou rétributive, qui la frappait enfin. Pour l’instant les Barrios de Caracas n’ont pas vu la subtilité qu’évidemment une chaîne culturelle comme la nôtre est en droit de mettre en avant. » [11] Rappeler que la chaîne RCTV avait soutenu plus que symboliquement le coup d’état orchestré contre Hugo Chávez, ce serait commenter « très favorablement » la fermeture de la RCTV. La devise d’Adler ? La propagande ou le chaos !
Et maintenant ?
Le gouvernement du Venezuela dispose enfin de moyens notablement accrus pour faire vivre et développer, du moins s’agissant de la télévision, le pluralisme politique et la diversité culturelle. Comme tout pouvoir, il peut abuser de celui dont il dispose. Mais, comme tout pouvoir démocratique, il peut contribuer à développer une démocratie sociale et participative conforme à ses ambitions. Le gouvernement du Venezuela s’est heureusement placé lui-même à la croisée des chemins.
L’observation des médias, aussi engagée soit-elle, est indépendante des gouvernements quels qu’ils soient. Mais la vigilance quand elle est solidaire a besoin d’informations : ce n’est pas dans les médias dominants que nous les trouverons [12].
Henri Maler et Mathias Reymond
Concert de désinformation à la française
Henri Maler et Mathias Reymond
Publié le vendredi 1er juin 2007
Le non-renouvellement depuis le 27 mai de la concession hertzienne attribuée à la chaîne de télévision vénézélienne Radio Caracas Télévision (RCTV) nous a valu un déferlement d’informations unilatérales et tendancieuses, biaisées et lacunaires au service d’une condamnation sans appel. Titres falsificateurs et commentaires acerbes contre Chávez à l’appui, les médias français, soutenus par les maîtres-penseurs du microcosme médiatique et par l’association anti-chaviste Reporters sans Frontières (RSF), ont repris en chœur le même refrain, résumé à merveille par le titre de l’éditorial du Monde : « Censure à la Chávez » (28 mai 2007).
Sous couvert de répondre à des questions sérieuses et légitimes, un concert de désinformation... et de propagande à sens unique en guise de controverse.
Une décision illégale ?
RCTV, propriété de 1 Broadcasting Caracas (1BC), entreprise fondée en 1930 par William H. Phelps, homme d’affaire états-unien vivant à Caracas, a été créée en 1953. En 1987, sous la présidence de Jaime Lusinchi (du parti Accion Democratica), est adopté un décret qui stipule dans son article 1 : « Les concessions pour la transmission et l’exploitation de chaînes de télévisions et fréquences de radio seront délivrées pour une période de 20 ans » et reconduit pour une durée de 20 ans les concessions délivrées avant la date du décret. La concession attribuée à la chaîne RCTV par l’Etat devait donc être renouvelée ou prendre fin le 27 mai 2007.
C’est donc légalement que le gouvernement vénézuélien a décidé de ne pas renouveler la concession. A strictement parler, il ne s’agit ni de la suppression d’une licence, contrairement à ce qu’affirment Les Echos dès le 10 janvier 2007, quand ils évoquent « la suppression de la licence de la chaîne de radiotélévision d’opposition RCTV [1] », ni de la fermeture d’une chaîne de télévision qui peut continuer à diffuser par d’autres voies que par la voie hertzienne.
En dépit d’un titre digne d’un éditorial mensonger - « Chávez bâillonne la télé d’opposition » - Lamia Oualalou dans Le Figaro du 26 mai rappelle simplement : « Sur le plan légal, le gouvernement est dans son droit. Il ne s’agit pas de la fermeture d’un canal mais du non-renouvellement d’une concession. “ C’est une décision souveraine, l’espace télévisuel est public, pas privé, et faire de RCTV le représentant de la démocratie est une blague”, insiste le sociologue Luis Lander. »
Au contraire, l’éditorialiste anonyme du Monde (daté du 27-28 mai) - sous le titre éloquent, mais littéralement faux : « Censure à la Chávez » - affirme que « Le président Hugo Chávez a ordonné la disparition de RCTV ». La passion du commentaire hostile défigure l’information, puisque RCTV pourra continuer à diffuser via Internet, le câble ou le satellite. Mais selon la loi, sa fréquence hertzienne revient au service public.
Confondant allègrement liberté de l’information et de la culture et liberté des entreprises médiatiques privées, Le Monde considère sans doute qu’une concession de l’espace public hertzien, voire même la privatisation d’une entreprise, devient définitive lorsqu’elle est accordée. Avec de tels gardiens des lois, TF1-Bouygues est bien protégé !
En janvier 2007, interrogé par le Télégramme de Brest sur la nécessité de « remettre en cause l’attribution de TF1 au groupe Bouygues », un apprenti dictateur répondait qu’il faillait avant tout « faire respecter la loi » avant d’ajouter : « La loi votée il y a vingt ans (...) stipulait qu’il fallait vérifier que les engagements pris par les chaînes, notamment en matière de programmes culturels, étaient tenus. Ces rendez-vous fixés par la loi n’ont jamais été honorés. Et l’on a prolongé, sans que personne ne s’en aperçoive, les concessions sans la moindre discussion. Ce n’est pas juste. » Cette déclaration de François Bayrou - puisque c’est de ce redoutable « chaviste » qu’il s’agit - n’avait pas particulièrement ému la rédaction du Monde...
Une décision arbitraire ?
Une décision peut être légale dans son principe et arbitraire par ses motifs et ses modalités. Avant d’en juger, pour en juger, encore faut-il disposer d’une information la plus exacte et la plus complète possible. Tel n’est pas le cas.
Soucieux de pouvoir affirmer sans crainte d’être contredit que la décision d’Hugo Chávez est totalement arbitraire, Paulo A. Paranagua, dans Le Monde du 25 mai 2007 (sous le titre « Hugo Chávez fragilisé par les protestations contre la fermeture d’une chaîne d’opposition »), économise les informations : « Devant le tollé suscité aussi bien au Venezuela qu’à l’étranger, il [le gouvernement] a finalement préparé une riposte et publié un "Livre blanc sur RCTV", qui mélange arguments juridiques et politiques. » Fort de cette affirmation péremptoire, Paulo A. Paranagua ne retient des 184 pages du « Livre blanc sur RCTV » (qui, publié en mars 2007 par le Ministère du Pouvoir Populaire pour la Communication et l’Information du Venezuela, propose sa version de l’état des concentrations au Venezuela, de la régulation des concessions, des transgressions des lois et règlements en vigueur), que l’incohérence qu’il lui prête : « RCTV a "stimulé la guerre civile et le coup d’Etat", affirme le livre, en référence au putsch raté contre M. Chávez en 2002, mais "il ne s’agit pas de vindicte politique". » Si vous voulez en savoir plus et, au moins la version exacte du gouvernement, il ne vous reste plus qu’à lire le Livre Blanc lui-même.
Parmi les motifs du non renouvellement de la concession, figure en première place la participation de RCTV au coup d’Etat d’avril 2002, traditionnellement affublé d’adjectifs - « éphémère », « manqué », « avorté » - qui en réduisent rétrospectivement le sens, comme si son échec n’était pas dû au soutien populaire dont a bénéficié Hugo Chávez et comme si sa brièveté valait absolution politique. Sur France 24, par exemple, le samedi 23 est diffusé un reportage qui se veut « équilibré » [2]et qui résume ainsi : « Le président Hugo Chávez l’accuse [RCTV] d’avoir soutenu un mini coup d’Etat contre lui en en 2002. »
Cette accusation est-elle fondée ? La plupart des journalistes, au terme d’une investigation de 5 ans, ne sont pas encore parvenus à se prononcer sur une accusation qu’ils attribuent au seul Hugo Chávez et qu’ils n’ont pas encore « recoupée » ! Deux exceptions méritent d’être mentionnées :
- Dans Libération, François Meurisse [3] rapporte partiellement les faits : « Personne dans le pays n’a oublié l’attitude de la chaîne durant l’éphémère coup d’Etat contre Hugo Chávez qui a eu lieu entre le 11 et le 13 avril 2002. Le 11, la chaîne avait diffusé des appels à marcher sur le palais présidentiel, une manifestation qui permettra de déclencher le putsch. Le 13, au contraire, alors que de grands rassemblements réclament le retour du président Chavez retenu prisonnier, la chaîne tait l’information et diffuse le Livre de la jungle, prétextant des risques trop élevés pour ses équipes dans les rues de Caracas. Aujourd’hui encore, la directrice de l’information Soraya Castellano soutient que l’attitude de la chaîne a toujours été correcte. Et qu’il n’y a alors pas eu, en avril 2002, de “coup d’Etat” mais “un vide du pouvoir”, thèse qui n’est plus défendue que par les plus “durs” de l’opposition. »
- L’article paru dans Le Figaro du 26 mai, déjà cité, après avoir souligné la légalité de la décision prise, rappelle lui aussi quelques faits élémentaires : « Pendant des années, la chaîne a ouvertement conspiré contre le président en place en relayant les appels à renverser le régime. Lors du coup d’État du 11 avril 2002, le canal annonçait qu’Hugo Chávez avait démissionné et accepté que le dirigeant du patronat local, Pedro Carmona, assure l’intérim à la tête de l’État. En réalité, le président était maintenu au secret dans une île au large du Venezuela par des militaires putschistes. »
Encore ne s’agit-il là que du rôle joué par RCTV (et d’autres médias privé) lors du coup d’Etat. Les actes de désinformation intentionnelle et de déstabilisation, à commencer par le soutien à la grève patronale de 2002, se sont poursuivis depuis et sur RCTV jusqu’à aujourd’hui [4].
Rappelons enfin que le lourd passif de RCTV ne date pas de l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chávez : la quasi-totalité des médias omettent de mentionner les multiples transgressions de la légalité de RCTV qui lui avaient valu d’être fermée à plusieurs reprises par des prédécesseurs sociaux-démocrates ou démocrates-chrétiens de l’actuel Président [5].
Ne pouvant simplement nier ces faits (quand ils ne les dissimulent pas...), des commentateurs se réfugient derrière une fine ligne de défense : le rôle de RCTV pendant le coup d’Etat aurait dû faire l’objet d’une procédure judiciaire. Dans Libération, François Meurisse souscrit ainsi aux propos qu’il rapporte : « Le directeur de l’association civile Espace public, Carlos Correa, rappelle, lui, que la défense de la liberté d’expression n’a pas pour objectif “de juger de la bonne ou mauvaise pratique du journalisme. Il y a d’autres mécanismes pour ça. Dans le cas de la conduite de RCTV durant le coup d’Etat, c’est éventuellement un processus judiciaire qui aurait dû se mettre en place contre elle, ce qui n’a jamais été fait”. »
Ainsi, la mansuétude du gouvernement d’Hugo Chávez à l’égard des participants au coup d’Etat est mise à son débit [6].
Une décision impopulaire ?
Les principaux médias français sont unanimes : la décision de Chávez est impopulaire au Venezuela. « A en croire des sondages, 80 % des Vénézuéliens désapprouvent la disparition de RCTV, au nom de la liberté de choix des programmes », écrit Paulo A. Paranagua, dès le 22 avril 2007, avant de répéter, le 26 mai : « A en croire les sondages, 80% des Vénézuéliens (...) seraient défavorables à la fermeture de RCTV. » Des sondages, dont l’envoyé spécial du Monde se garde bien de rappeler de quels instituts partisans ils sont l’œuvre : ces mêmes instituts qui prédisaient une victoire limitée de Chávez lors des dernières élections alors qu’il les a remportées à 63% [7]. De son côté, François Meurisse dans Libération fait état de sondages qui « affirment que 70 % de la population regrette la décision de Chávez », avant d’ ajouter, plus prudemment : « Le chiffre est peut-être exagéré mais la mesure est très loin d’être populaire. »
Admettons qu’une telle impopularité soit vérifiée. Une information rigoureuse s’interdirait de confondre la question du choix des programmes de divertissement et celle du pluralisme des informations. Accepterait-on, en France, qu’une chaîne de télévision comme TF1 puisse se prévaloir de la popularité de « Qui veut gagner des millions ? » pour transgresser impunément la législation en vigueur ? Le Monde s’émeut parce que la « censure » « prive un public populaire de ses programmes favoris ». Qu’on s’en réjouisse ou le déplore, c’est vraisemblable. Faut-il en conclure que des programmes populaires ne peuvent pas être remplacés par d’autres ? Et que le quotidien vespéral aurait protesté si le public français avait été privé des émissions de téléréalité, en s’insurgeant, comme il le fait à propos du Venezuela contre un « coup rude porté à la liberté d’expression » ?
Une décision liberticide ?
Le titre d’une dépêche AFP (28 mai 2007) donne le ton : « Venezuela : la dernière chaîne d’opposition à Chávez a cessé d’émettre ». Sur le site de France 2, on pouvait lire, publié le 28 mai à 11h14, un article titré « Venezuela : il n’y a plus de télé d’opposition. ». Sur la même chaîne, Philippe Rochot entame ainsi son commentaire dans le JT de 13 heures du 29 mai (France 2) : « C’était l’un des derniers bastions de la liberté de la presse au Venezuela et toute la nuit ces manifestants ont tenté de le défendre. » La dernière chaîne d’opposition, vraiment ? L’un des derniers bastions de la liberté de la presse ?
Erreur de traduction ou désinformation intentionnelle ? La dépêche de l’AFP, déjà citée, annonce : « la naissance de la nouvelle chaîne de "télévision socialiste" (TVES) ». On chercherait en vain l’adjectif « socialiste » dans la dénomination de la chaîne : « Televisora Venezolana Social ». Ignorance significative ou omission délibérée ? Le rédacteur de l’AFP oublie de signaler que le nom de la nouvelle chaîne TVES est un acronyme qui fonctionne comme un jeu de mot. En espagnol, T Ves veut dire « tu te vois » ce qui indique la volonté de ses promoteurs d’en faire « la première chaîne de service public » nationale. Cette déformation de la réalité est reprise par Libération (28 mai 2007) : « RCTV sera remplacée par une télé dite "socialiste" . »
Si la « dernière » chaîne d’opposition est remplacée par une « chaîne socialiste », c’est évidemment une dictature qui s’instaure.
Pourtant, aujourd’hui encore, les médias privés utilisent 78% des fréquences VHF et 82% des fréquences UHF disponibles au Venezuela... et toutes les chaînes privées (radios et télévisions) sont loin d’être favorables à Chávez. Avec un peu plus de rigueur, le rédacteur de l’AFP n’aurait pas écrit la « dernière » chaîne d’opposition mais, plutôt, « la plus virulente » des chaînes d’opposition. Il est vrai que RCTV est l’une des plus importantes et la plus ancienne chaîne privée du Venezuela mais ce n’est pas la seule. Les chaînes nationales de TV, Globovision, Televen, CMT et Venevision du magnat latino américain Gustavo Cisneros (dont les locaux servirent à préparer le putsch d’avril 2002), sont toutes des chaînes d’opposition.
Le Monde, une fois de plus, désinforme par omission. Dans un inimitable commentaire, l’éditorialiste anonyme assène que l’attribution à TVES de la fréquence hier encore à RCTV « réduit le pluralisme et augmente la concentration de l’audiovisuel aux mains du gouvernement ». Une concentration qui existait déjà « aux mains du gouvernement » et qui « augmente » ? Un « pluralisme » qui se réduit ? Le Monde, manifestement, est mal informé et entend le rester.
C’est encore dans le Figaro que l’on peut lire quelques fragments de vérité, en dépit du flou partisan du commentaire final : « Pendant des années, le secteur privé, contrôlé par l’opposition, a dominé le paysage de la presse écrite et télévisuelle , avec cinq chaînes - Venevisión, RCTV, Globovisión, Televen and CMT - et neuf des dix principaux quotidiens. À chaque offensive pour déloger Hugo Chávez, les médias ont perdu de la crédibilité, alors que le chef de la révolution bolivarienne en profitait pour concentrer les pouvoirs. »
Mais ne demandons pas au Figaro plus qu’il ne peut donner. Quelques précisions font ici défaut, et notamment celle-ci : jusqu’à présent, c’est grâce au gouvernement d’Hugo Chávez que le pluralisme n’a pas été totalement confisqué par l’opposition, que la diversité sociale du pays a été enfin respectée et que la diversité culturelle a été étendue : par la création de la chaîne Vive TV et le développement des médias communautaires. Rares, très rares, sont les informations les concernant dans les principaux médias français [8].
Les médias français s’inquiètent d’un éventuel étranglement du pluralisme politique, Mais de quel pluralisme parle-t-on ?
- S’agit-il du pluralisme externe qui résulte de la diversité des opinions politiques entre les divers médias ? Il faut alors souligner que si le pluralisme audiovisuel au Venezuela revêt, jusqu’à présent, la forme d’une confrontation entre chaînes d’opposition et chaînes pro-gouvernementales, c’est d’abord en raison de l’hégémonie initiale... des chaînes d’opposition : une hégémonie qui n’a guère inquiété les médias dominants en France. Or, soudainement, Le Monde s’insurge contre un « coup rude porté à la liberté d’expression au Venezuela » et s’indigne : « A la suite de la disparition de RCTV des ondes hertziennes, lundi 28 mai, il ne restera plus qu’une chaîne d’opposition, dont le signal ne dépasse pas Caracas et dont l’audience est négligeable. » C’est une falsification grossière... digne des Rantanplans sans Frontières (voir plus bas).
- S’il s’agit, non plus du pluralisme externe, mais du pluralisme interne à chaque chaîne de télévision, force est de constater qu’il est plutôt maltraité. Mais, jusqu’à une date récente, la responsabilité en incombait d’abord à l’hégémonie exercée par des médias privés intervenant comme des acteurs politiques à part entière pour tenter de déstabiliser le régime d’Hugo Chàvez.
Dans un article qui ne comporte que des informations « à charge » et le plus souvent biaisées, Paulo A. Paranagua, sous le titre « Hugo Chávez fait taire la principale chaîne de télévision vénézuélienne », rédige pour Le Monde (daté du 29 mai 2007) un éditorial complémentaire dans lequel chaque expression est un commentaire hostile [9]. Exemple d’information partisane, unilatérale et tronquée : « Les ondes hertziennes offrent désormais "un paysage audiovisuel monocolore", estime Marcelino Bisbal, de l’Université catholique. Une étude de l’Institut de recherches en communication (Ininco) révèle que 74 % des contenus de la chaîne publique Venezolana de Television relèvent de la propagande gouvernementale. » Sans doute l’envoyé spécial du Monde ignore-t-il ce que rappelle Le Monde Diplomatique sur son site : « Des études de contenu effectuées sur le mois de janvier 2007 montrent que, dans ses programmes, elle RCTV a invité 21 personnalités hostiles au gouvernement, et aucune qui lui soit favorable. Le même mois, une des quatre autres grandes chaînes privées, Globovisión, a invité 59 opposants à M. Chávez et 7 de ses partisans. Seule Televen a respecté la parité : deux de chaque camp. » [10]
N’importe quel observateur de la réalité vénézuélienne sait que la chaîne publique Venezolana de Television n’avait - hélas - pas le choix face à l’hégémonie médiatique des médias privés d’opposition. Elle dispose de ce choix désormais : qui pourrait s’en plaindre ?
Peut-être Alexandre Adler et ses émules... Pour le grand Alexandre, sur France Culture (29 mai 2007), tout est simple (et même amusant...) : « c’est une affaire qui ne peut que, comme d’habitude, soulever l’indignation et faire sourire car nous sommes quand même dans un pays créole. (...) Ce pouvoir autoritaire et ces mesures qui rappellent Cuba, mais un Cuba disons dans lequel les munitions auraient été remplacées par des balles en plastique. » Dans sa chronique matinale, il en profite pour bougonner contre France Culture, trop complaisante à son goût à l’égard de Chávez : « On a un peu commenté, très favorablement sur cette antenne, un peu moins favorablement ailleurs, la fermeture de la télévision, la dernière télévision indépendante au Venezuela, par Hugo Chávez. » Grognement qui fait sourire Ali Badou, l’animateur de la tranche matinale : « une précision, Alexandre : mais qui a vu sur notre antenne d’un œil favorable la fermeture de la chaîne de télévision par Hugo Chávez ? » C’est vrai, ce serait étonnant... La réponse d’Alexandre Adler ne l’est pas vraiment : « Ah bien, on a rappelé lourdement que cette chaîne avait soutenu le coup d’état pendant deux jours, que donc il ne l’avait pas volé et que finalement ce n’était qu’une justice redistributive ou rétributive, qui la frappait enfin. Pour l’instant les Barrios de Caracas n’ont pas vu la subtilité qu’évidemment une chaîne culturelle comme la nôtre est en droit de mettre en avant. » [11] Rappeler que la chaîne RCTV avait soutenu plus que symboliquement le coup d’état orchestré contre Hugo Chávez, ce serait commenter « très favorablement » la fermeture de la RCTV. La devise d’Adler ? La propagande ou le chaos !
Et maintenant ?
Le gouvernement du Venezuela dispose enfin de moyens notablement accrus pour faire vivre et développer, du moins s’agissant de la télévision, le pluralisme politique et la diversité culturelle. Comme tout pouvoir, il peut abuser de celui dont il dispose. Mais, comme tout pouvoir démocratique, il peut contribuer à développer une démocratie sociale et participative conforme à ses ambitions. Le gouvernement du Venezuela s’est heureusement placé lui-même à la croisée des chemins.
L’observation des médias, aussi engagée soit-elle, est indépendante des gouvernements quels qu’ils soient. Mais la vigilance quand elle est solidaire a besoin d’informations : ce n’est pas dans les médias dominants que nous les trouverons [12].
Henri Maler et Mathias Reymond
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