31 octobre 2007

 

N.Sarkozy veut passer en force pour la nouvelle constitution européenne

63 % des Français veulent être consultés sur la Constitution européenne bis

A Lisbonne, le président a répété qu’il ne voulait surtout pas consulter les Français sur le nouveau traité et, s’agissant du contenu, prétendu sans sourciller que "ça n’est pas la Constitution, ça n’est pas le traité de la Convention, c’est le résultat d’un consensus de toutes les forces politiques y compris de ceux qui avaient voté non"... Un sondage publié au même moment, mais quasiment occulté par les médias français, montre que les Français ne sont pas en phase avec la stratégie européenne du président Sarkozy.

Par Christophe Beaudouin (depuis Lisbonne)

Vers 13 h 30 environ ce 19 octobre, le président Nicolas Sarkozy, accompagné des ministres Bernard Kouchner et Jean-Pierre Jouyet, a fait son entrée dans la salle de presse du palais des expositions de Lisbonne, où se terminait le sommet informel des chefs d’Etat et de gouvernement venu formaliser l’accord des vingt-sept sur le nouveau traité européen.

La diplomatie des derniers mois l’avait visiblement épuisé : « Après les six mois que l’on vient de passer, j’espère qu’on a passé le goût des questions institutionnelles, enfin, pour les gens normaux... »

Tout sourire, il s’est félicité de l’accord intervenu dans la nuit entre les gouvernements après quelques ultimes marchandages (un eurodéputé "offert" à l’Italie notamment) : « Les vingt-sept sont tombés d’accord sur un traité simplifié (...) Nous avons trouvé des solutions à une Europe bloquée depuis maintenant dix ans et j’ai tenu la promesse que j’avais faite pendant la campagne présidentielle ».

Ratification précipitée avant Noël

Bien décidé à éviter tout débat sur le fond et en particulier sur la question du référendum, Nicolas Sarkozy n’a cessé de précipiter le calendrier de relance du processus institutionnel européen et a annoncé que la France serait « le premier pays » à ratifier, dès avant Noël, au lendemain de la signature définitive du traité le 13 décembre prochain. Il faudra avant la ratification réunir préalablement le Parlement en Congrès pour réviser la Constitution française à l’heure actuelle incompatible avec le traité de Lisbonne. Une dizaine de jours donc seulement, pour boucler l’ensemble de la procédure, où même au Parlement l’on n’aura guère le temps (ni l’envie semble-t-il) d’en débattre...

A moins que ce traité ne rencontre de nouvelles difficultés de ratification dans d’autres pays, son entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2009.

« Consensus de toutes les forces politiques »

Sur les soupçons de gémellité entre le traité constitutionnel rejeté et le traité dit « modificatif » -, le président Sarkozy y est allé "franco" : « ça n’est pas la Constitution, ça n’est pas le traité de la Convention, c’est le résultat d’un consensus de toutes les forces politiques y compris de ceux qui avaient voté non » Les « forces politiques » de gauche, de droite et d’ailleurs, qui ont animé la campagne du « non » apprécieront leur ralliement forcé au traité signé par Nicolas Sarkozy.
Avec un petit rictus, il a insisté, devant une presse mondiale dubitative : « oui c’est un traité simplifié : il n’y a quand même que sept articles dans le traité simplifié ».

Ni « mini » ni « simplifié » : le traité est plus long (2 800 pages) et plus compliqué encore que la Constitution européenne

En fait, le président a une approche toute personnelle et pour le coup, simplificatrice, de ce [traité de Lisbonne (en ligne ici) qui compte quand même 250 pages.

Voici comment les juristes de Bruxelles l’ont rédigé pour y camoufler la Constitution européenne : ils ont démonté les 448 articles de cette Constitution, puis ils les ont intégrés dans les Traités actuels et, là est le tour de génie, ils ont redémonté le tout pour aboutir à ce texte extrêmement complexe.

Celui-ci ajoute plus de 400 articles supplémentaires aux traités de Rome (1957) et de Maästricht (1992), la plupart identiques aux articles du Traité constitutionnel rejeté il y a deux ans, l’ensemble des traités européens en vigueur atteignant ainsi un volume de 2 800 pages, selon le jurisconsulte du Conseil lui-même, M. Jean-Claude Piris. Tous les observateurs un peu objectifs le jugent « indigeste », à l’instar du Pr Christian Lequesne (London School of Economics and Political Science), qui le qualifie d’« embrouillé » et même d’« usine à gaz » (France Culture, 9 octobre 2007).

Nicolas Sarkozy a par ailleurs décrit la composition du « comité des sages » censé réfléchir à l’avenir institutionnel de l’Union - alors que l’option fédérale vient d’être scellée de manière irréversible à Lisbonne - et à ses limites - alors que nul gouvernement n’a osé jusqu’ici opposer son veto à l’ouverture des nouveaux chapitres de négociation avec la Turquie, rendant son adhésion de moins en moins refusable. « Pour le comité des sages, d’une douzaine de membres environ, je veux une logique exclusivement européenne. Il faut des savants, des historiens, des géographes, des philosophes, des hommes d’affaires, des femmes aussi, des personnalités représentatives de toutes les cultures. Mais il lui faut au moins deux ans de durée, afin d’être déconnecté de tout enjeu politique. »

Enfin, il a loué longuement le travail du président de la Commission européenne : « Vous connaissez l’appréciation extrêmement positive que la France porte sur le travail de M. Barroso (...) M. Barroso est un très remarquable président de la Commission ».

Consulter le peuple français, ce serait « renier [sa] parole »...

Interrogé par l’un des rares journalistes français à poser une question intelligente, Jean Quatremer (Libération), qui lui faisait remarquer les appels à référendum « à droite et à gauche », le président n’a pas hésité une seconde : « Souvenez-vous de ce que j’ai dit pendant la campagne (...) ce serait un reniement de ma parole. »

Autrement dit : le recyclage de la Constitution européenne refusée par le peuple français, ça n’est pas un reniement et le net infléchissement de sa position sur l’entrée de la Turquie, ça n’est pas un reniement non plus. En revanche, ne pas consulter les Français sur le traité qui était supposé intégrer les préoccupations exprimées par le vote « non » il y a deux ans, là ce serait une magnifique démonstration du respect par le président de ses "promesses" de campagne...

Une écrasante majorité d’Européens veut pourtant un référendum sur le nouveau traité

En Espagne, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie et en France pourtant, on semble ardemment souhaiter ce référendum sur le nouveau traité. En effet, un sondage Louis Harris* publié jeudi par le Financial Times, et sur lequel la presse française a été assez discrète, révèle que 76 % des Allemands, 75 % des Britanniques, 72 % des Italiens, 65% des Espagnols et 63 % des Français souhaitent un référendum sur le traité remplaçant la Constitution européenne.

Rappelons que des 27 pays de l’Union européenne, seule l’Irlande, qui y est tenue par sa Constitution, a prévu d’organiser un référendum, dont le résultat positif est loin d’être assuré. Le même sondage indique que 61 % des personnes interrogées admettent "ne pas être du tout familières" avec le contenu du traité, 34 % disant l’être "plus ou moins". Et pour cause...

Une écrasante majorité d’Européens refuse l’entrée de la Turquie, laquelle est pourtant à la table des négociations d’adhésion à l’UE

Toute aussi révélatrice du fossé qui s’élargit entre les gouvernements autosatisfaits devant les caméras hier à Lisbonne et les peuples européens dont ils tirent leur légitimité, cette étude d’opinion sur l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne : son adhésion est rejetée par 71 % des Français et 66 % des Allemands.

Le président Nicolas Sarkozy a beau s’afficher triomphant au soir du sommet de Lisbonne, les Français comme la plupart des peuples européens ne semblent pas très en phase avec lui sur les limites orientales à donner l’Europe, ni très heureux d’apprendre qu’on évitera soigneusement de leur (re)demander leur avis sur cette "usine à gaz" juridique dont tout le monde a bien compris qu’il passait le "non" français par pertes et profits.

CB

*Pour réaliser son sondage, Harris Interactive a interrogé 1 025 Britanniques, 1 014 Allemands, 1 012 Français, 1 090 Italiens et 1 010 Espagnols via internet entre le 31 mai et le 12 juin

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