04 décembre 2007
Emeutes de banlieue: des JT à mémoire variable
Par La rédaction d"arret sur image" le mardi 27 novembre 2007
SOUVENIRS, SOUVENIRS
Aujourd'hui comme en 2005, certaines cités de banlieue sont le théâtre d'émeutes et de saccages.
Tous vos jités ont fait le parallèle entre les deux flambées de colère. Ce parallèle, il est vrai, est irrésistible.
Mais il est un rappel qu'ils n'ont pas fait, et ne feront pas: leur propre contribution, en 2005, à imposer la version policière (et la version du pouvoir) de l'événement.
Se comporteront-ils autrement en 2007 ?
Revenons sur trois points précis.
Dès les premières heures suivant la mort des deux jeunes gens en 2005, tous les jités répètent la version policière (corroborée par le procureur de Bobigny, et épousée par les politiques de la majorité): quand elles ont pénétré dans le site EDF où elles vont trouver la mort, par électrocution, les deux jeunes victimes n'étaient pas poursuivies par la police. Le procureur de Bobigny attendra le 3 novembre 2005 avant d'ouvrir une information judiciaire pour "mise en danger de la vie d'autrui".
Un an après les événements, l'enquête judiciaire établit que les policiers ont poursuivi les jeunes, qu'ils les ont vus entrer sur le site EDF, et qu'ils auraient dû envoyer les secours. Les JT retransmettent fidèlement, mais omettent tous de rediffuser les déclarations de Nicolas Sarkozy, qui n'a jamais corrigé ses propos.
Le même sortilège enchante les trois grandes chaînes nationales, en décembre 2006, lorsque Le Monde publie de larges extraits d'un rapport de l'IGS, l'Inspection générale des services (la "police des polices"), qui incrimine les policiers et confirme la course-poursuite. Certains se risquent bien à rappeler que le "Ministère de l'Intérieur" a combattu cette thèse, ou que la "Direction de la police nationale" refuse de sanctionner ses troupes, mais aucun rappel direct des discours passés de l'encore ministre de l'Intérieur.
La même amnésie sur les déclarations passées frappe encore quand, le 8 février 2007, deux policiers sont mis en examen dans cette affaire.
Deuxième point: l'obsession de Nicolas Sarkozy pour les "bandes organisées", qui noyauteraient les cités pour conduire les émeutes.
Bien sûr, Sarkozy n'est pas seul. Il est épaulé par de nombreux responsables de sa majorité, et par des syndicats de policiers. Le scepticisme de certains observateurs, comme le sociologue Michel Wieviorka, ou les bémols introduits par certains journalistes, peinent à contreblalancer cette tonalité dominante.
Faites-vous votre propre idée.
Pourtant, dès le 7 décembre 2005, le Parisien révèle un "rapport confidentiel" de la Direction centrale des renseignements généraux, qui insiste sur l'absence de caïds ou d'intégristes manipulant les émeutiers, et assimile le mouvement à une "une révolte populaire des cités". Le journal affirme que les RG "relativisent ainsi les déclarations de nombreux acteurs policiers et judiciaires, qui ont dénoncé à chaud des groupes organisés, mafieux ou islamistes".
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le rapport bénéficie d'un écho limité: le jour même, PPDA se fend d'une brève, du bout des lèvres, et France 2 se tait. Seule France 3 monte au front, par la voix d'Audrey Pulvar, qui reçoit ce soir-là le ministre sur son plateau.
Cet échange tonique éclaire le lien, dans l'argumentaire sarkoziste, entre l'existence des bandes organisées et celle de dangereux multirécidivistes, qui auraient échoué par fourgons entiers dans les tribunaux de France et de Navarre pendant les émeutes.
Or, très vite, les magistrats en charge de ces affaires ont démenti cette notion de récidive. Déjà le 17 novembre, , affirme que pour "la majorité des majeurs", le "passé pénal n'était pas important" et qu'il y "très, très peu de gros délinquants". De plus, selon lui, "la très grande majorité" des mineurs mis en cause "présente un profil de primo-délinquant".
Ces démentis catégoriques ne gênent guère Nicolas Sarkozy. Le 28 novembre 2005, il affirme par exemple devant les préfets que "70 à 80 %" des 4.500 personnes gardées à vue pendant ou après les émeutes pour leur participation présumée aux émeutes, avaient des "antécédents judiciaires".
Voilà qui aurait dû soulever les interrogations, au minimum, des rédactions.
Sur quels chiffres secrets, sur quelle étude le bientôt candidat se fonde-t-il ? On ne le saura jamais. La seule étude sérieuse –mais hélas parcellaire – dont @rrêt sur images ait connaissance est celle des chercheurs Laurent Mucchielli et Aurore Delon, révélée par Libération le 24 octobre 2006. A partir de l'analyse des cas de quatre-vingt-six mineurs déférés devant le tribunal pour enfants de Bobigny (Seine-Saint-Denis), ils concluent que seul un tiers d'entre eux étaient déjà connus par la justice.
Mais cette étude ne sera pas portée à la connaissance des téléspectateurs. Après analyse approfondie de notre base de données, nous sommes au regret de constater que pas un des JT des trois principales chaînes nationales n'y a consacré la moindre image.
(Recherche de Dan Israel et Aurélie Windels)
SOUVENIRS, SOUVENIRS
Aujourd'hui comme en 2005, certaines cités de banlieue sont le théâtre d'émeutes et de saccages.
Tous vos jités ont fait le parallèle entre les deux flambées de colère. Ce parallèle, il est vrai, est irrésistible.
Mais il est un rappel qu'ils n'ont pas fait, et ne feront pas: leur propre contribution, en 2005, à imposer la version policière (et la version du pouvoir) de l'événement.
Se comporteront-ils autrement en 2007 ?
Revenons sur trois points précis.
Dès les premières heures suivant la mort des deux jeunes gens en 2005, tous les jités répètent la version policière (corroborée par le procureur de Bobigny, et épousée par les politiques de la majorité): quand elles ont pénétré dans le site EDF où elles vont trouver la mort, par électrocution, les deux jeunes victimes n'étaient pas poursuivies par la police. Le procureur de Bobigny attendra le 3 novembre 2005 avant d'ouvrir une information judiciaire pour "mise en danger de la vie d'autrui".
Un an après les événements, l'enquête judiciaire établit que les policiers ont poursuivi les jeunes, qu'ils les ont vus entrer sur le site EDF, et qu'ils auraient dû envoyer les secours. Les JT retransmettent fidèlement, mais omettent tous de rediffuser les déclarations de Nicolas Sarkozy, qui n'a jamais corrigé ses propos.
Le même sortilège enchante les trois grandes chaînes nationales, en décembre 2006, lorsque Le Monde publie de larges extraits d'un rapport de l'IGS, l'Inspection générale des services (la "police des polices"), qui incrimine les policiers et confirme la course-poursuite. Certains se risquent bien à rappeler que le "Ministère de l'Intérieur" a combattu cette thèse, ou que la "Direction de la police nationale" refuse de sanctionner ses troupes, mais aucun rappel direct des discours passés de l'encore ministre de l'Intérieur.
La même amnésie sur les déclarations passées frappe encore quand, le 8 février 2007, deux policiers sont mis en examen dans cette affaire.
Deuxième point: l'obsession de Nicolas Sarkozy pour les "bandes organisées", qui noyauteraient les cités pour conduire les émeutes.
Bien sûr, Sarkozy n'est pas seul. Il est épaulé par de nombreux responsables de sa majorité, et par des syndicats de policiers. Le scepticisme de certains observateurs, comme le sociologue Michel Wieviorka, ou les bémols introduits par certains journalistes, peinent à contreblalancer cette tonalité dominante.
Faites-vous votre propre idée.
Pourtant, dès le 7 décembre 2005, le Parisien révèle un "rapport confidentiel" de la Direction centrale des renseignements généraux, qui insiste sur l'absence de caïds ou d'intégristes manipulant les émeutiers, et assimile le mouvement à une "une révolte populaire des cités". Le journal affirme que les RG "relativisent ainsi les déclarations de nombreux acteurs policiers et judiciaires, qui ont dénoncé à chaud des groupes organisés, mafieux ou islamistes".
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le rapport bénéficie d'un écho limité: le jour même, PPDA se fend d'une brève, du bout des lèvres, et France 2 se tait. Seule France 3 monte au front, par la voix d'Audrey Pulvar, qui reçoit ce soir-là le ministre sur son plateau.
Cet échange tonique éclaire le lien, dans l'argumentaire sarkoziste, entre l'existence des bandes organisées et celle de dangereux multirécidivistes, qui auraient échoué par fourgons entiers dans les tribunaux de France et de Navarre pendant les émeutes.
Or, très vite, les magistrats en charge de ces affaires ont démenti cette notion de récidive. Déjà le 17 novembre, , affirme que pour "la majorité des majeurs", le "passé pénal n'était pas important" et qu'il y "très, très peu de gros délinquants". De plus, selon lui, "la très grande majorité" des mineurs mis en cause "présente un profil de primo-délinquant".
Ces démentis catégoriques ne gênent guère Nicolas Sarkozy. Le 28 novembre 2005, il affirme par exemple devant les préfets que "70 à 80 %" des 4.500 personnes gardées à vue pendant ou après les émeutes pour leur participation présumée aux émeutes, avaient des "antécédents judiciaires".
Voilà qui aurait dû soulever les interrogations, au minimum, des rédactions.
Sur quels chiffres secrets, sur quelle étude le bientôt candidat se fonde-t-il ? On ne le saura jamais. La seule étude sérieuse –mais hélas parcellaire – dont @rrêt sur images ait connaissance est celle des chercheurs Laurent Mucchielli et Aurore Delon, révélée par Libération le 24 octobre 2006. A partir de l'analyse des cas de quatre-vingt-six mineurs déférés devant le tribunal pour enfants de Bobigny (Seine-Saint-Denis), ils concluent que seul un tiers d'entre eux étaient déjà connus par la justice.
Mais cette étude ne sera pas portée à la connaissance des téléspectateurs. Après analyse approfondie de notre base de données, nous sommes au regret de constater que pas un des JT des trois principales chaînes nationales n'y a consacré la moindre image.
(Recherche de Dan Israel et Aurélie Windels)
Abonnement Commentaires [Atom]

